Parti du refuge du Requin par l’itinéraire de l’envers du Plan (A l’Envers du plan, près de chez moi), nous sommes arrivés au rognon du Plan avant l’aube, bien trop tôt pour imaginer commencer à descendre le versant nord encore gelé.
Nous nous sommes alors posés dans nos sacs de couchage le temps que le soleil se lève et vienne réchauffer les premières pentes du haut de la face.
Quelques heures plus tard, l’arrête au-dessus de nous commence à s’illuminer au fur et à mesure de l’ascension du soleil dans notre dos. Le but du jour est le col du Plan et sa face nord qui domine Chamonix d’une chute de neige et de glace de plus de mille deux cents mètres.
Le temps file vite en montagne une fois que le rythme ambiant nous a gagné et qu’une certaine somnolence s’est doucement installée. La timide chaleur de la matinée peine à nous tirer d’un faux sommeil probablement réparateur mais certainement dangereux au vu du vide qui s’ouvre sous nos pieds.
Il est temps de tester la qualité de la neige avant de se lancer dans le premier virage. Ainsi, une dernière pierre lancée dans la pente se fait engloutir comme un corps mort dans une masse sans consistance qui, il y a à peine une heure, laissait augurer une descente quasi parfaite !
Inutile de tenter de trouver un responsable de l’échec probable qui nous attend. La décision de poser un premier rappel pour éviter une fatale glissage est donc rapidement prise. Les cordes fermement attachées nous permettent de gagner une zone qui semble plus propice à l’utilisation de nos carres aiguisées avec soin que l’était l’écharpe sommitale transformée en un toboggan de neige de printemps.
Une fois la corde remise sur le sac, la pente apparaît encore plus raide. La crainte du premier virage nous fait traverser la face de part et d’autre en espérant trouver les conditions parfaites de neige et d’inclinaison. Prendre appuis sur son ski amont en projetant le corps en avant dans le vide demande un engagement mental sans faille. Ce n’est que comme ceci que le bassin peut amorcer cette rotation rapide qui permettra de retrouver un appuis sur les carres opposées et profiter d’une perte d’altitude toute relative.
Cette fois, il y a peu de place pour le fantasme. Le corps et l’esprit forment un tout qui ne peut être dérangé. La neige molle a fait place à une suite de goulets glacés formés par les écoulements des après-midi des jours précédents. Le regel nocturne les a métamorphosés en glace qui provoquent des tremblements de toute la carcasse. Peu de liens entre ceci et l’extase promise dans nos discussions de la veille.
Les sens sont exacerbés. Chaque bruit résonne comme un coup de fusil qui annonce la balle qui nous fauchera en pleine descente. La raison retrouvée nous fait nous diriger sous le ressaut nord où une neige non encore transformée nous accueille.
A partir de cet instant, une sorte de plénitude s’installe. La tension accumulée se relâche d’un coup et le plaisir s’installe et s’amplifie au fur et à mesure que les virages s’enchaînent de façon souple et rythmée. L’énergie accumulée dans la courbe est expulsée souplement mais avec force pour permettre la projection dans la courbe suivante. La répétition de ces moment de tension et de relâchement nous amène, sans que nous en prenions réellement conscience, dans les pentes inférieures où le contrôle est moins nécessaire. La vitesse augmente régulièrement en même temps que le rayon des virages s’allonge. La rimaye est franchie à pleine vitesse en une longue et agréable envolée….
C’est glissant, à l’aiguille du plan près de chez moi !
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