La nuit a été courte. Le sommeil n’est pas venu tout de suite car l’esprit s’est promené tout le long de l’itinéraire du lendemain de nombreuses fois comme si chaque passage devait être exploré et mémorisé. La crainte naissante a été lentement remplacée par une sérénité rassurante quant à l’aventure qui s’annonce. Le réveil nous a cueilli à l’aube d’un puissant sommeil qui s’était installé une fois que le dortoir eu fini de résonner du bruit des omniprésents ronfleurs des cimes !
La transition entre le soi-disant repos et l’action est quasi imperceptible. Chacun suit son programme naturel en essayant d’ingurgiter un peu de nourriture sur un estomac désireux de se soulager mais trop noué pour y arriver.
La course pour être dans le peloton de tête à la sortie de la cabane, garantie d’une certaine sécurité plus loin sur l’itinéraire, a démarré. Les cordes se délovent dans la précipitation, les moins adroits vont hériter d’un sac de nouilles qui les reléguera irrémédiablement en queue de file une fois les dégâts réparés.
Arrivé au pied de la face une légère collation et l’encordement aux extrémités de cette ficelle fluorescente précèdent la mise en jambe sur la première partie, gravie sans relais intermédiaires.
Le rythme régulier des pointes avant des crampons gravant le miroir gelé d’une guirlande de trous étincelants nous berce dans le demi-sommeil pas encore dissipé. Les mollets commencent à brûler au moment où nous arrivons au pied du ressaut vertical barrant le milieu de la face.
L’excitation est à son comble à mesure que les longueurs exposées défilent. Les piolets s’ancrent avec fermeté pour garantir la tenue mais pas trop pour permettre une extraction sans effort. Le plaisir s’installe quand les ancrages sont légers et que les équilibres s’enchaînent avec le moins d’accrocs possibles.
Le reste de la face est parcouru côte à côte avec la corde sur le sac. L’exposition est maximale mais le sentiment de confiance domine. La rapidité étant un gage de sécurité en ces contrées hostiles, cette progression rapide nous amène sur la crête sommitale avant que les rayons du soleil commencent à réchauffer les dernières pentes.
Assis sur le cairn érigé au point culminant, un pied de chaque côté de l’arrête, la tension se relâche. Quelques fruits prestement avalés permettent de se lancer tranquillement dans la descente. Les conditions sont mauvaises, la neige file de part et d’autre à chaque pas et l’assurage est quasi impossible. Cette incertitude accompagne la descente jusqu’à ce que le pied foule le névé du bas de la face opposée à celle gravie.
C’est engagé près de chez moi !